La domestication et les premières utilisations du chien (Partie 1/5)
Retrouvez l’intégralité de cet article et bien d’autres choses dans le Livre du Centenaire
de la FCI
www.fci.be/onlinecatalogue.aspx
Bernard DENIS, France
Professeur honoraire de l’Ecole nationale vétérinaire de Nantes
Ex-membre de la Commission scientifique de la FCI
La domestication du chien est un sujet qui, aujourd’hui, passionne. Il faut dire
que les connaissances ont continué de s’enrichir du côté de l’archéologie et, surtout,
l’avènement de la génétique moléculaire et l’accumulation des données qui en émanent
posent beaucoup de questions et suscitent de passionnantes discussions. La presse
cynophilique se fait volontiers l’écho de la moindre nouveauté, ce qui conduit parfois
à considérer les conceptions traditionnelles comme dépassées. C’est évidemment en
partie vrai mais il convient de ne pas exagérer, en oubliant par exemple que, faute
de certitudes, il demeure parfois utile de raisonner au nom du simple bon sens.
De plus, les idées vont à coup sûr encore évoluer au fur et à mesure que de nouveaux
résultats de recherche apparaîtront.
Dans cet exposé, que nous avons voulu très synthétique et soucieux beaucoup plus
de pédagogie que de mise au point bibliographique, nous continuerons à présenter
des idées classiques sur la domestication en général et sur celle du chien en particulier
mais nous évoquerons bien entendu les questions les plus importantes qui se posent
aujourd’hui à leur sujet. Conformément aux habitudes, nous parlerons d’abord du
processus de domestication lui-même, avec les questions « quand, où, pourquoi, comment
? », puis nous évoquerons les conséquences de la domestication sur l’animal et,
enfin, nous parlerons des premières utilisations du chien.
Nous avons beaucoup emprunté à un document très riche, paru récemment en France,
auquel de nombreux auteurs ont participé1. Des références plus précises,
le concernant ou non, seront mentionnées sous la forme de notes de bas de page.
On peut également mentionner une synthèse récente en langue française, qui privilégie
les derniers résultats de la recherche internationale, notamment en génétique moléculaire2.
Le processus de domestication
Malgré quelques discussions résiduelles, il est admis à la quasi-unanimité aujourd’hui
que le Chien dérive du Loup. Qu’il faille les considérer tous deux comme deux espèces
distinctes (Canis familiaris d’une part, Canis lupus d’autre part, selon la conception
classique) ou que le Chien soit une simple sous-espèce du Loup demeure en discussion.
Si le consensus ne parvient pas à s’établir, c’est à cause d’un certain flou qui
persiste autour de la définition de l’espèce. Le plus simple est d’entériner la
conception classique –deux espèces distinctes- d’autant plus que le Chien dérive
probablement de plusieurs sous-espèces de loups.
© Wikimedia commons
Loup de l’Arctique (Canis lupus Arctos)
Tentons de répondre rapidement aux questions : quand, où, pourquoi et comment le
Chien a-t-il été domestiqué ? 3
Quand a-t-on domestiqué le Chien ?
La domestication en général est volontiers associée à l’époque néolithique. En réalité,
le processus s’est considérablement étalé dans le temps puisqu’il a commencé, avec
le Chien, en plein paléolithique et qu’il se poursuit encore de nos jours, avec
des tentatives de domestication de nouvelles espèces.
Le Chien est la première espèce à être devenue domestique, sa présence étant attestée
par l’archéologie à partir de 18 000 à 12 000 av. JC selon les zones. Pour simplifier,
on retient volontiers le chiffre approximatif de 15 000 av. JC. Il est la seule
espèce domestique qu’aient connu les chasseurs-cueilleurs et il se trouve donc associé
au mode de vie de ces derniers. La domestication du Chien n’a nullement induit celle
des espèces de consommation –Mouton, Chèvre, Porc, Boeuf- qui est survenue à partir
de 8 500 av. JC, soit plus de 6 000 ans plus tard, dans une autre culture, celle
des éleveurs-agriculteurs. La domestication du Chien est donc d’une autre nature
que celle des espèces de ferme.4
L’hypothèse selon laquelle le Chien aurait pu être domestiqué plus tôt avait déjà
été formulée mais sans remonter aussi loin que ce à quoi une étude de génétique
moléculaire crut pouvoir conclure en 1997 : 100 000 ans5! Cette proposition
fut rapidement révisée, notamment par les mêmes chercheurs, un consensus finissant
par s’établir entre les archéologues et les généticiens autour de 15 000 av. JC6.
Cela dit, l’association bien plus ancienne d’ossements de loups à des
vestiges humains laisse volontiers croire aujourd’hui à une longue période de cohabitation
« prédomestica-toire » : suivant des groupes de chasseurs-cueilleurs
qui toléraient leur présence à distance, certains loups se seraient peu à peu isolés
par rapport à leurs congénères restés en dehors de la sphère humaine et se seraient
en quelque sorte « auto-apprivoisés », ce qui préparait la domestication.7
Le fait que le Chien comprenne mieux l’Homme, ne serait-ce que par le simple regard,
que le Chimpanzé, pourrait s’expliquer par cette très longue période de commensalisme
antérieure à la domestication proprement dite.8
1
Le chien : domestication, raciation, utilisations dans l’histoire, Actes
des journées
d’étude de la Société d’Ethnozootechnie et de la Société Centrale Canine des 17
novembre 2005 et 28 février 2006, Ethnozootechnie n° 78, 2006 (234 pages).On
y trouve
beaucoup d’articles spécialisés et d’autres, synthétiques, parmi lesquels « Des
origines du chien », par Yves LIGNEREUX (voir note 8).
2 LICARI, S., « La domestication du Chien », Cynophilie Française,
2009,
n° 145, pp.32 – 35 et n° 146, pp. 22 – 27. Voir aussi : GALIBERT, F., QUIGNON, P.,
HITTE. et ANDRÉ, C., « Toward understanding dog evolutionary and domestication history.
Histoire de la domestication du chien », C.R.Biologies, 2011, 334,
190- 196.
3 L’expression est classique mais, bien entendu, il faudrait mieux parler
de la domestication du loup …
4 VIGNE, J.D., Les origines de la culture : les débuts de l’élevage,
Coll. « Le collège de la Cité », Le Pommier et cité des Sciences et de l’Industrie
Ed., Paris, 2004.
5 VILA, C. et al., « Multiple and ancient origins of the domestic dog
», Science, 1997, 276, 1687-1689.
6 LEONARD, J.A. et al., « Ancient DNA evidence for old world origin of
new world dogs », Science, 2002, 298, 1613-1616. – SAVOLAINEN,P. et al. :
voir note
9.
7 Cette thèse a été popularisée notamment par COPPINGER, 2001, Dogs :
a new understanding of canine origin, behaviour and evolution, Chicago University
Press, Chicago, 2001.
8 LIGNEREUX, Y., « Des origines du Chien », Ethnozootechnie, 2006,
n° 78, 11-28.